L¡¯originalité première des « Mains sales » est d¡¯avoir fait du temps, ce cadre obligatoire de toute représentation,
un facteur essentiel de l¡¯action. Dans « Les Mains sales », le temps n¡¯est pas une dimension d¡¯ordre purement
cumulatif où les moments et les jours se suivent et s¡¯additionnent. Le temps, dans cette pièce, est d¡¯une toute
autre valeur parce qu¡¯il motive et détermine très précisément tant les phases générales de l¡¯action que les
comportements individuels des personnages. On pourrait distinguer ces différents aspects du temps.
A. Le temps scénique
Cette importance du temps apparaît d¡¯abord dans le fait que cette pièce se passe sur deux ans, ce qui n¡¯est pas
absolument commun. Les indications précises ne manquent pas. Hugo est entré au parti en 1942, et l¡¯action
proprement dite commence en mars 1943. Hugo réapparaît chez Olga en mars 1945 à 9 heures du soir et à la
demande de celle-ci, il raconte son histoire : l¡¯assassinat de Hoederer qui s¡¯est passé deux ans avant.
Ces événements sont scénifiés et constituent le corps de la pièce. Après quoi, nous revenons au présent
dans le dernier tableau, et il est minuit : Hugo a donc disposé de trois heures pour faire son récit : on remarquera
que c¡¯est le temps habituel d¡¯une représentation, mais que les événements évoqués ont duré dix jours.
B. Le temps histoirque
Il est bien entendu le facteur essentiel : de mars 1943 à mars 1945, les événements ont marché. Dès mars 1943, en
pleine guerre germano-russe, les Allemands s¡¯essoufflent et leur victoire apparaît problématique. Aussi le Régent
cherche-t-il déjà une sortie honorable en contactant le Pentagone et la Résistance. Pendant les deux ans de
captivité de Hugo, le recul allemand s¡¯est poursuivi, la Libération approche et les communistes pures et durs pensent que le moment est bientôt venu de châtier les traîtres, en l¡¯occurrence Hugo.
C. Le temps psychologique
C¡¯est le temps très limité, quelques jours seulement, qui est celui de la pièce proprement dite. Ce temps est
rempli par les doutes et les hésitations de Hugo qui ne peut pas se résoudre à tuer Hoederer, mais aussi, et
parallèlement, par l¡¯entreprise - plus voulu qu¡¯il n¡¯y paraît - de Jessica à l¡¯adresse de Hoederer pour hâter une issue
jugée trop lente. En réalité, ce temps psychologique est relativement très long et excède de loin - est-il besoin de le dire, le temps chronologique d¡¯une semaine. Il s¡¯agit là d¡¯une durée intérieure, où mûrissent les idées, les réflexions,
les hésitations et les doutes. Hugo Barine n¡¯est évidemment plus le même du début à la fin de ces quelques jours : le révolutionnaire convaincu, qui ne se contenait pas d¡¯une simple mission de surveillance, d¡¯une besogne peu honorable de mouton, mais voulait agir lui-même, a été progressivement désarmé par Hoederer, à la fois symboliquement et réellement puisqu¡¯il s¡¯est laissé prendre son revolver dans sa poche par celui-ci. La conclusion est que le temps psychologique est un facteur essentiel des « Mains sales ».
D. Le temps carcéral
C¡¯est le temps passé par Hugo en prison (deux ans), pendant lequel bien des choses sont arrivés, hors les
événements historiques et politiques, en particulier la séparation de Hugo et de Jessica qui met peut être fin à une
certaine équivoque. Le temps carcéral est lui aussi un temps de réflexion, de méditation, de retour sur le passé,
peut-être même de projets d¡¯avenir. [...] En l¡¯occurrence, Hugo Barine nous dit qu¡¯il a beaucoup pensé en prison,
pensé à son acte, certes, mais aussi à ses camarades du Parti : [...]
Voir Jean Labesse, « Jean-Paul Sartre Les Mains sales », Ellipses, 1997, pp. 69-70.
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