Sartre est venu au théâtre autant par goût que par raison. D'abord philosophe, puis romancier et nouvellistes, il a
trouvé à la scène le plus sûr moyen de toucher un vaste public. Ayant suivi - comme tant d'autres - l'influence de
Charles Dullin dont il fait la connaissance dès 1932 et qui soutiendra son manuscrit "Mélancolia", il donne à la fin de
1942 un cours sur l'histoire du théâtre grec à l'Ecole dramatique que Dullin dirige. Celui-ci avait mis en scène le
"Siegfried" de Giraudoux (1933) qui allait faire date dans l'histoire du théâtre.
Si Sartre en captivité s'était déjà essayé au théâtre avec un drame d'inspiration religieuse ("Bariona ou Le Fils du
tonnerre"), c'est en 1942 qu'il achève "Les Mouches". Cette première tentative d'un théâtre de situation, créée en
1943, sera suivie d'autres pièces qui se succèderont à un rythme régulier jusqu'en 1959. "Huis clos" (1944); "Morts
sans sépulture" (1946), "La Putain respectueuse" (1946), "Les Mains sales" (1948), "Le Diable et le bon Dieu" (1951),
"Kean" (1953), "Nekrassov" (1954), "Les Séquestrés d'Altona" (1959) ...
Le théâtre de Sartre, qui a le goût des formules, le sens des dialogues et de l'intrigue, solidement charpenté par
une structure rigoureuse, reste inaccessible à un public somme toute assez large. Mais cette facilité d'accès n'est
que relative. La visée philosophique ou politique reste bien présente. Elle a dérangé ou trompé maint spectateur.
Ce théâtre qui aime le discours et la rhétorique est tout aussi capable de puiser aux sources du mythe antique que de trouver un solide ancrage dans l'histoire ancienne ou contemporaine. Malgré quelques audaces d'un langage qui
use de la trivialité comme d'un nécessaire dépoussiérage des situations, Sartre reste assez peu novateur au théâtre. De cette manière, sa dramaturge est proche de celle de Camus.
Quelques lignes de forces peuvent servir de repères commodes et donner une identité sommaire au théâtre
sartrien : l'engagement de l'individu, l'interrogation sur le sens de l'action, le rejet du conformisme ou de la frilosité
intellectuel, le problème de la liberté des hommes. En ce sens, ce théâtre est bel et bien engagé.
Le dialogue y devient l'espace verbal d'une dialectique dramatisée par le conflit des personnages. La parole
dramatique y est capitale parce qu'elle est une prise de conscience et une action tout à la fois.
On fera enfin cette constation : le théâtre de Sartre n'est connu du grand public que dans ce sens qu'il a de plus
voyant, de plus agressif ou de plus immédiat. On n'en voudra pour preuve que le succès de "Huis clos" trop souvent
réduit à une formule trompeuse ("L'enfer, c'est les autres"). Or le théâtre de Sartre a d'autres ambitions et d'autres
mérites. De même, il serait tout aussi injuste de le cantonner au seul rôle d'un théâtre philosophique ou existentiel
qui resterait d'ailleurs à définir.
De 1943 à 1965, Sartre a écrit huit pièces originales et donné deux adaptations. A cette production, à proprement parler dramatique, il conviendrait d'ajouter les scénarios de films (en particulier "Les Jeux sont faits" de Jean
Delannoy et le "Freud, passion secrète" de Huston que Sartre désavoua parce que son travail avait été trop
remanié).
Voir Michal Maillard, « Sartre », collection Balises, Nathan, 1994, pp. 65-66. |
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