Personnages des « Mains sales » de Jean-Paul Sartre
1. Karsky et le Prince
représentants plénipotentiaires des deux idéologies opposées au Parti, ont été sommairement différenciés par
le dramaturge. Le premier est un nationaliste sincère, pur et intransigeant. Le second est un conservateur
fasciste, d¡¯un grand opportunisme politique.
2. Louis
est le chef de la minorité du Parti prolétarien. Il représente une idéologie intransigeante qui consière Hoederer
comme un traître. Intelligent et réaliste, il vit dans le présent, mais est capable d¡¯analyser hommes et situations.
3. Olga
est une militante active, parfaite illustration d¡¯une conscience politique mûre et humaine. Selon Hugo, elle est
« si pure, si nette ». Froide et distante au début de la pièce, elle est profondément attachée à Hugo.
Se voulant « femme de tête », elle s¡¯oppose en tous points à Jessica. Si Olga est amoureuse, elle ne se laisse
jamais dominer pas ses sentiments, plaçant l¡¯idéologie au-dessus de tout.
4. Jessica
est un personnage qui ne manque pas d¡¯intérêt. C¡¯est une jeune femme issue de la bourgeoisie à qui l¡¯on n¡¯a
enseigné qu¡¯à « mettre des fleurs dans les vases ». Féminine et provocante, elle joue en permanence un rôle.
Avec Hugo, elle joue à l¡¯amour, souffrant et faisant souffrir, comme incapable de vivre dans l¡¯authenticité.
Le drame de Jessica, c¡¯est que sa conscience se réveille trop tard, à un moment où également attachée à Hugo
et à Hoederer, il lui faut « choisir entre un suicide et un assassin ».
5. Hugo
est digne des héros romantiques. Il doit beaucoup à Lorenzaccio par sa jeunesse, par son désespoir et ses doutes,
par sa conscience aiguë d¡¯être un « déclassé », par sa volonté d¡¯agir, mais aussi par sa solitude. Jeune bourgeois
en rupture de classe, il est « un gosse de riches » et en quête de valeurs authentiques. S¡¯il a épousé la cause
des prolétaires, s¡¯il a renié ses origines et s¡¯affirme indifférent à son père, il est le mari d¡¯une jeune femme qui
lui permet de vivre sans soucis pécuniaires. Sa valise contient les photos de l¡¯enfance bourgeoise avec laquelle le
révolutionnaire n¡¯a pu encore rompre totalement. Mais l¡¯engagement d¡¯Hugo est sincère, ses doutes, comme son
idéalisme exigeant, en sont la meilleure preuve. Intellectuel, il rêve d¡¯action, mais il est d¡¯abord un journaliste ou un
secrétaire, qualifié de bavard, d¡¯anarchiste aimant les principes plus que les hommes. Pourtant Hugo mourra, en
désespéré enfin réconcilié avec lui-même.
6. Hoederer
est le personnage auquel vont les sympathies de Sartre. Il est l¡¯homme de situation. Ainsi, lorsqu¡¯il dit à Hugo :
« La jeunesse, je ne sais pas ce que c¡¯est : je suis passé directement de l¡¯enfance à l¡¯âge d¡¯homme », il s¡¯affirme
comme l¡¯exact opposé du romantique Hugo. Non seulement Hoederer est pragmatique, tourné vers son sens
politique, par son aptitude à la prospective. Sartre s¡¯est complu à semer de multiples répliques ou phrases qui
sont autant de déclarations où le personnage se définit lui-même. Hugo déclarant « Tout ce qu¡¯il touche a l¡¯air
vrai » ou Jessica affirmant « il suffit qu¡¯il ouvre la bouche pour qu¡¯on soit sûr qu¡¯il a raison » disent la même chose :
Hoederer est un monolithe d¡¯authenticité. Pour lui, l¡¯idéologie a une dimension humaine, même s¡¯il faut accepter
des compromis qui sont la nature même de la politique. « Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces »,
dira-t-il d¡¯abord, avant d¡¯affirmer beaucoup plus crûment : « Moi, j¡¯ai les mains sales. Jusqu¡¯aux coudes. Je les ai
plongées dans la merde et dans le sang. » Cette affirmation est aussi une profession de foi.
Voir Michel Maillard, « Sartre », coll. Balises, Nathan, 1994, pp. 86-88.
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